Raymond-François Le Bris, qui fêtera ses 85 ans le 18 septembre, a consacré sa vie à la fonction publique. Aujourd’hui à la retraite, l’ancien haut fonctionnaire a accepté de nous raconter son parcours et de se remémorer sa jeunesse gouesnousienne.

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Publié le mardi 8 septembre 2020

 

Vous êtes né à Gouesnou. Y avez-vous grandi, aussi ?

Raymond-François Le Bris : Je suis né à Gouesnou le 18 septembre 1935, au Crann, un petit hameau sur la route de Plouvien quand on vient du bourg de Gouesnou. Mon père (François Le Bris) était maître de chai, chez un marchand de vins de Gouesnou qui s’appelait Paul Laot. Ma mère, Bernadette Lunven, était à la maison. Ils avaient deux vaches et un petit terrain. Ils sont restés là pendant deux ans. En 1937, ils sont partis – et nous avec, mon frère et moi – pour s’installer à Brest.

 

Malgré cela, enfant, vous considériez-vous comme Gouesnousien ?

R.-F.L.B. : Mais évidemment ! Toute mon enfance, toute ma jeunesse est gouesnousienne, à travers mes cousins. Dans la famille de ma mère, ils étaient onze enfants, les Lunven, et dans celle de mon père, ils étaient cinq. Donc on a vécu dans l’atmosphère gouesnousienne très longtemps.

 

Comment passait-on le temps, à Gouesnou, dans la période après-guerre, quand on était jeune ?

R.-F.L.B. : Moi, j’habitais Brest et j’allais à l’école à Brest, à Saint-Martin puis à Notre-Dame de Bon Secours, chez les jésuites. Ça, c’était ma base.

Et, pour les vacances, j’allais souvent à Gouesnou et au Four-Neuf. J’aidais à quelques travaux de la ferme : j’écrémais le lait, je faisais tourner l’écrémeuse à la main, pour enlever la crème du beurre, j’allais récolter quelques légumes. Je jouais également avec mes cousines plus jeunes, dans le manoir, le grand champ à proximité de la maison de mon oncle et de ma tante.

J’ai dû aller régulièrement à Gouesnou jusqu’à mes 12-13 ans. Puis ça s’est espacé. Avec mes copains, on allait en vélo de Brest jusqu’au Trez-Hir. Ou à Saint-Marc, à la plage des Brestois. À partir de 1946-1947, ma vie était partagée entre l’école, aider mes parents au magasin et aller me baigner.

 

Quel est votre parcours ?

R.-F.L.B. : J’ai passé mon bac en 1953 et là je suis parti de Brest pour aller à Rennes faire mes études de droit. Après mes études de droit à Rennes, on m’a proposé un poste d’assistant à la faculté de droit. Je suis donc devenu assistant, puis chargé de cours, et j’ai été agrégé en 1965.

Agrégé de droit, je suis nommé professeur à Bordeaux, puis je reviens à Rennes. Puis à Brest, quand l’université se crée. Je suis nommé premier président de l’Université de Bretagne occidentale (UBO), en 1971.

 

Une grande fierté ?

R.-F.L.B. : Une grande fierté, mais une grande responsabilité aussi. C’était assez chaud à l’époque. La contestation était assez forte à Brest. Je suis resté un an et demi et j’ai été appelé par le ministre pour devenir directeur général de l’Enseignement supérieur et de la recherche en France, en 1972. J’ai occupé ce poste de 1972 à 1974. En 1974, Pompidou décède et Giscard est élu, on crée un secrétariat d’État autonome aux Universités, et je deviens directeur du cabinet du ministre.

À ce moment-là, j’habite à Paris, mais je m’intéresse à Brest, et notamment à mon ancienne université que j’essaie d’aider dans son développement, en répondant aux demandes de son président et du conseil. Attachement à la Bretagne, toujours.

 

Après cela, vous bifurquez…

R.-F.L.B. : Je change complètement d’orientation et je deviens préfet. De l’Ariège d’abord, en 1974, puis de l’Ain, jusqu’en 1981.

Après 1981, j’ai quitté mes fonctions de préfet. Je suis revenu comme professeur à l’université de Brest. J’y suis resté pendant deux ans, jusqu’en 1983. Et à ce moment-là, j’ai été nommé professeur de droit à Paris-Dauphine, jusqu’en 1986.

Et en 1986, changement de gouvernement et de majorité. J’ai été réintégré dans le corps préfectoral, et j’y suis resté. J’ai été nommé préfet de la Seine-Saint-Denis de 1986 à 1990. Et nous avions toujours notre maison à Plougastel-Daoulas, où nous revenions à toutes les vacances. C’était notre ancrage breton.

Et puis en 1990, j’ai quitté mon poste de préfet pour devenir directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, et j’ai occupé cette fonction de 1990 à 1995. C’est un très grand établissement, avec toutes les grandes écoles : HEC, Sup’ de co, etc. Et 5 000 salariés.

De 1995 à 2000, je suis nommé directeur de l’ENA, l’École nationale d’administration, à Paris et à Strasbourg. À la direction de l’ENA, j’ai comme élèves Édouard Philippe (Premier ministre du 15 mai 2017 au 3 juillet 2020) et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. Emmanuel Macron, en revanche, y est passé après mon départ (de 2002 à 2004, NDLR). Ensuite, je pars à la retraite, tout en étant chargé de missions par le gouvernement. Je suis donc resté assez actif.

 

Dans votre riche carrière, quel est le poste qui vous a le plus marqué ?

R.-F.L.B. : C’est celui de préfet de la Seine-Saint-Denis, un poste exigeant mais où j’ai eu le sentiment de faire œuvre la plus utile, parce qu’il y avait beaucoup de problèmes : développement économique, formation des jeunes, logement, etc. Et le préfet y avait un rôle important, pour aider les gens à mieux vivre. Ça m’a beaucoup porté. Les autres postes m’ont porté aussi, mais là, j’avais le sentiment de l’utilité immédiate. C’était plus concret. Sur la sécurité, sur le logement, sur la formation professionnelle des jeunes, sur l’emploi des jeunes, sur le développement économique, notamment lié à Roissy… Le métier de préfet est un métier d’action.

 

Tout au long de votre carrière, vous avez côtoyé plusieurs présidents de la République…

R.-F.L.B. : Je n’ai jamais été dans un cabinet présidentiel. Mais j’ai été reçu par Pompidou quand je dirigeais l’Enseignement supérieur – c’est lui qui avait suggéré mon nom – ; j’ai bien connu Giscard après – même le Giscard président –, il m’avait reçu à deux reprises quand j’étais préfet de l’Ariège et préfet de l’Ain ; ensuite j’ai rencontré régulièrement le président Mitterrand quand j’étais préfet de la Seine-Saint-Denis ; j’ai bien connu Jacques Chirac, qui m’a remis, à l’Élysée, ma cravate de Commandeur de la Légion d’honneur en présence de ma femme et mes enfants ; j’ai été reçu par Sarkozy aussi…

 

Aujourd’hui, où vivez-vous ?

R.-F.L.B. : À Paris ! Nos enfants sont là-bas. On a vendu notre maison à Plougastel pour pouvoir acheter un appartement à Paris. Cela fait bientôt trois ans que nous ne sommes pas revenus à Gouesnou.

 

Qu’est-ce qui vous a frappé lors de votre dernière venue à Gouesnou ?

R.-F.L.B. : Ce qui m’a frappé, c’est le changement des paysages. Il y a beaucoup de lotissements, de maisons éparpillées, et, forcément, beaucoup moins de champs. Avant, il y avait des fermes partout ! D’ailleurs, mes cousins étaient tous agriculteurs.

 

Vous regrettez ce développement ?

R.-F.L.B. : Je ne sais pas si je le regrette. Je dirais plutôt que je demeure attaché à mes souvenirs d’enfance. Mais bien évidemment, pour passer de 1 500 habitants dans ma jeunesse à 6 200 maintenant, il faut construire.

 

Puisque l’on évoque de potentiels regrets, en avez-vous sur le plan professionnel ? N’avez-vous jamais songé à vous présenter à des élections ?

R.-F.L.B. : À un moment, ça a été envisagé, à Brest notamment. On m’avait proposé de me présenter. Jacques Chirac, qui était président de la République, m’avait fait venir en me disant : « On me parle de vous souvent à propos de Brest, vous devriez être candidat ». J’ai réfléchi, puis j’ai dit non. Parce qu’être candidat à des élections, ça suppose de dire à des gens qui vont voter pour vous : « Je suis meilleur que les autres ». Cela suppose un mode de comportement, de raisonnement, une attitude que je n’ai pas. C’est un fin métier que d’être élu, mais je n’ai pas cette fibre-là.

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